1977 - 2000 : Le peintre de l'espace

Au tournant des années 80, Corbassière se replie sur le calme de son atelier, qu'il vient d'installer dans la petite commune d'Orgerus dans les Yvelines. Bien sûr, il est toujours fidèle à son goût pour les bonnes tables, et il n'est un secret pour personne que la n° 32 au Fouquet's lui est réservée. Bien sûr, il est toujours attendu à la plage de la Voile Rouge, à Saint-Tropez. Et il n'a rien perdu de son goût pour les jolies femmes, qui défraient parfois la chronique.

Mais la recherche de Corbassière est plus intime, plus exigeante que toutes les maîtresses. Elle s'est imposée d'elle-même, comme un défi à relever, un pari fou pour qui a toujours voulu briser le cadre de la toile: peindre l'espace.

L'espace, c'est le monde secret de Corbassière, sa part de rêve depuis que son père l'emmenait à l'observatoire et lui faisait partager la rédaction du bulletin de la société d'astronomie. Mais pour cet homme d'aujourd'hui, c'est aussi et surtout un nouveau territoire à conquérir, d'autant plus vertigineux qu'il est sans limite et encore inexploré. Vierge. Corbassière suit avec passion les moindres progrès de cette odyssée des temps modernes. "Je lis peu. Mais je lis beaucoup d'écrits scientifiques".

Sur la toile, l'espace est d'abord éclaté en nébuleuses, en voies lactées. Les couleurs se font sombres. Omniprésent, le noir attire comme un abîme tandis que l'œil se rattrape aux taches de couleur. "Regardez. Cela, c'est une photo qu'a prise Hubble, cette année. Et ici, c'est ce que je peignais il y a plus de vingt ans. J'en suis moi-même étonné", confie Corbassière.  

Etonné. Et étonnant. Au point de retenir l'attention de la Nasa elle-même. Corbassière est aujourd'hui le seul peintre à pouvoir se targuer d'avoir aujourd'hui une toile, Charlie dans l'infini, dans l'espace à des années lumière de la terre. "Aujourd'hui, je ne sais même plus où est cette toile. Elle a dû se perdre de révolution en révolution", explique Corbassière, l'œil vers le ciel.

Une toile sur orbite

Ce voyage interstellaire est une véritable aventure. L'idée, Corbassière l'avait depuis longtemps. Elle le taraudait à mesure qu'il cherchait à agrandir son propre espace de travail, rêvant d'une toile infinie pour peindre. Il a depuis longtemps franchi les limites. Il a peint sur le toit d'un camion en partance pour le Paris Dakar; il a peint sur des plafonds; suspendu à un hélicoptère. Alors, réaliser une œuvre destinée à traverser l'espace…

Il en a parlé en France. Cela a fait sourire. Mais une fois encore, le sens de l'innovation va venir des Etats-Unis où un coup de chance va lui a fait rencontrer Herbert von Braun, directeur de la Nasa, qui va lui permettre de réaliser son rêve: faire partir la toile "Charlie dans l'infini" dans la navette spatiale américaine, en 1989.
 

Le nom de la toile, "Charlie dans l'infini", n'est pas un hasard. Charlie, c'est le nom de sa compagne lors d'une relation tumultueuse mais durable, ponctuée de ruptures et de réconciliations. Charlie, de son vrai prénom Véronika Bokör, Corbassière la rencontre en 1985. La jeune femme a de la classe. Elle va    , grâce à l'entourage de Corbassière, devenir mannequin chez Cardin. Mais elle va surtout être une véritable partenaire, jouant de sa beauté lors de happenings qui ont parfois quelque peu secoué les usages. Comme cette arrivée, en collant rose des pieds à la tête, à Roland Garos…

Car Corbassière aime provoquer. La maturité n'a rien changé à son caractère bravache. Au contraire. Artiste reconnu, il peut se permettre de porter le fer là où débutant il aurait été malvenu de contrarier les esprits trop bien-pensants. Ses compagnes et amies ont toujours été ses complices dans ces petites surprises que Corbassière sait concocter avec art.

En 1982, c'est accompagné de Pia Munk, miss Danemark 2e au concours de miss Univers,  qu'il se présente à l'Elysée où il est invité pour la remise de la légion d'honneur à Orson Welles. Les têtes tournent et se tournent. Car la jeune femme a les jambes aussi longues… que la robe est courte. Le lendemain, la mystérieuse "sans culotte de l'Elysée" fait la Une de la presse tandis qu'on envoie à Corbassière un avertissement solennel. La prochaine fois, on pourrait bien être obligé de prêter des vêtements à l'invitée…  

En 1993, le bonhomme, décidément peu sage, récidive dans le monde de l'art. Chapeau noir sur la tête et lavallière au cou, il déverse des sacs de charbon devant la… Fiac (Foire internationale de l'art contemporain) pour protester contre la "mafiac". Car les rapports entre le peintre et le milieu artistique ne sont pas toujours sans épine. Trop connu pour ses frasques et son goût des lieux chics, Corbassière souffre d'être étiqueté un peu vite "peintre mondain" quand son travail, lui, se fait dans le secret d'un atelier jalousement gardé.

Car Corbassière poursuit, durant toute la décennie 90, sa recherche sur l'espace. Aux nébuleuses ont succédé des interprétations des révolutions stellaires et du trou noir. Les couleurs cette fois éclatent, laissant libre cours à une palette établie avec soin pendant plus de cinquante ans de peinture. Corbassière est alors au sommet de sa technique, rouges francs et bleus profonds ; pas si loin de ce bleu de Canaletto qu'il rêvait d'approcher. Au sommet de son art.